Comment le numérique réussit aux genres littéraires populaires
Les rudes critiques envers la littérature populaire ciblaient davantage le policier et l’heroic fantasy il y a quelques années. C’est au tour du roman sentimental et de ses dérivés d’être sous-estimé par la sphère littéraire : cependant, le lectorat de ce genre forme une solide communauté en ligne.
Wattpad ou l’auto-publication adolescente
Wattpad est une plateforme numérique où chacun est encouragé à poster ses propres écrits. Ces derniers sont dilués par chapitre (dont le temps de lecture est indiqué dans un coin) et diffusés au compte-goutte afin de faire monter le suspense. Les lecteurs peuvent commenter et noter les extraits publiés : ils participent ainsi au processus de création de leurs auteurs favoris. La profusion et la récurrence contribuent au succès des romances et fanfictions en rendant le lectorat accro.
Une fanfiction est la libre prolongation écrite d’un produit culturel existant (livre, film, jeu vidéo…) qui se concentre généralement sur l’approfondissement de la psychologie des personnages. Cela peut ainsi combler certaines frustrations du lecteur quant à des béances scénaristiques ou une fin inacceptable. Ce type de récit n’a pas pour but de faire du profit mais plutôt de rassembler une communauté et de pratiquer l’écriture.
C’est donc sûrement sur Wattpad que la folie des romances a commencé. Même si les Cinquante Nuances de Grey ont cartonné dès 2012, Wattpad a gagné en visibilité après la publication de la fanfiction d’Anna Todd, After. Fanfiction créée à partir des chanteurs du groupe One Direction et de certains acteurs, After s’inscrit dans le genre des romans à l’eau de rose, ou chick-lit (roman écrit par des femmes, pour des femmes). Le lectorat est d’ailleurs à dominante féminine et adolescente.
Depuis, Wattpad compte majoritairement des fanfictions, des récits sentimentaux et des bit-lit (romances entre vampires) et surtout plus de lecteurs que d’écrivains (10 lecteurs pour 1 auteur) ! Il est très difficile pour les auteurs d’autres genres de faire leur place parmi tous ces récits qui se ressemblent mais dont le fanclub est convaincu, indétrônable et mimétique.
Pour un marketing de l’instantané
Il semblerait qu’en littérature populaire et à cause d’une critique virulente à son égard, tout outil numérique soit bon à prendre. La multitude des sous-genres qui compose la littérature populaire empêche la fixation de codes et de règles ; ainsi, les auteurs de romances ont davantage recours à l’autoédition ou, lorsqu’ils sont édités, restent connectés à leur lectorat, voire accessibles. C’est le cas, par exemple, de l’auteur de romance érotique Maya Banks. Bien qu’elle ait une assistante pour la gestion de sa page Facebook et son blog, elle semble avoir le contrôle total sur son compte Twitter qui dénombre plus de 30 000 abonnés :
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- Maya Banks commente l’actualité avec parfois plusieurs tweets par heure :
You know you’re fucked when the national weather service is speechless when attempting to describe storm & effects O_O
— Maya Banks (@maya_banks) 28 août 2017
« Tu sais que t’es foutu quand à la météo, ils ne trouvent pas les mots pour décrire la tempête et ses conséquences. »
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- … ou étale ses états d’âme :
I think I’ll take up knitting. *Easing away from laptop now*
— Maya Banks (@maya_banks) 14 août 2017
« Je pense que je vais me mettre au tricot. *S’éloigne tout de suite de l’ordinateur* »
Sa page Facebook est encore plus gorgée de commentaires et de likes venant de toute part. Contrairement à des romancières comme Nora Roberts, la présence de Maya Banks en ligne la rapproche de ses lecteurs et entretient leur addiction grâce à des teasers, des sondages aléatoires ou des réponses personnalisées.
C’est aussi ce genre de littérature que Google Play Books, en partenariat avec les éditions HarperCollins, vise avec son offre de location d’e-books pour 24h et seulement 99 cents. Les romans sériels en particulier sont bien découpés et comportent une écriture si légère et percutante qu’ils peuvent accrocher (presque) tout type de lecteur sans que la lecture leur semble chronophage. Pour attirer le plus de clients, Google Play joue sur les ventes flash ; la plateforme peut ainsi créer émulation et frustration chez les lecteurs, mécanique promotionnelle impossible en France avec le prix unique du livre. L’expérimentation de ce modèle économique ne date que de janvier 2017, il n’est pas trop tard pour que le phénomène prenne de l’ampleur.